Si les sculptures de Renaud Robin nous troublent autant, c’est parce qu’elles semblent naître d’un dialogue silencieux entre la main de l’artiste et la mémoire profonde du bois. Façonnée dans le robinier, essence dense et nerveuse, la sculpture en forme d’escargot s’impose comme une présence tout à la fois primitive, familière et énigmatique. Elle semble émerger du matériau lui-même, comme si elle y avait toujours été enfouie.

L’escargot — figure humble et pourtant universelle — devient ici un symbole du temps : non pas le temps linéaire, mais celui qui se replie, se courbe et se régénère. Sa spirale, patiemment révélée dans la masse du bois, évoque à la fois la croissance, la résistance et la lenteur essentielle des choses vivantes. Renaud Robin ne sculpte pas un animal : il sculpte un rythme.

Ce qui frappe d’emblée, c’est la présence organique de l’œuvre. Les stries, les veines, les variations chromatiques du robinier ne sont pas gommées ; elles sont exaltées. En respectant la matière tout en la métamorphosant, l’artiste parvient à capter un mouvement intérieur — celui de la montée en spirale, de l’élan qui naît du centre et s’ouvre vers le dehors. Une dynamique subtile, presque phénoménologique, où la forme devient une expérience du vivant.

À mesure que l’on observe la pièce, un glissement s’opère : la sculpture paraît animée d’une tension douce, comme si elle poursuivait sa progression, imperceptible mais continue. On croit y sentir le passage des saisons, la lumière sur l’écorce, le poids de la terre, la patience infinie des créatures discrètes qui traversent nos paysages. Ce n’est plus seulement une forme : c’est un souvenir du monde naturel devenu objet d’art.

Comme chez les artistes qui explorent l’essence même du réel, Renaud Robin s’attache ici à révéler plutôt qu’à représenter. Il s’empare du bois non pour le dominer, mais pour prolonger son récit intérieur. Le geste sculptural, précis mais jamais brutal, permet à la matière de conserver son épaisseur, sa densité, sa vie. La sculpture résulte alors d’un accord fragile entre contrôle et lâcher-prise, entre maîtrise de la forme et écoute du matériau.

Dans cette œuvre, l’humilité de l’escargot se charge d’une puissance symbolique rare : c’est la lenteur comme résistance, la persistance comme force, la spirale comme mémoire. En cela, la sculpture de Renaud Robin dépasse la figuration animale pour devenir une méditation sur notre rapport au temps — un temps que nous tentons sans cesse de dominer, mais qui finit toujours par nous façonner.

Présentée dans la galerie, cette pièce invite moins à la contemplation passive qu’à l’introspection. Elle incarne cette manière propre à Renaud Robin de transformer la simplicité du bois en un objet profondément habité. Une œuvre qui, dans sa modestie apparente, ouvre un espace de perception rare : celui où l’art et la nature se confondent, et où chaque regard devient un commencement.